Voici l’article d’Edmond Mathieu à propos du concert de vendredi 08 décembre de Sax Gordon et Nirek Mokar.

Tout le monde connaît l’expression « aller piano » qui signifie aller lentement. Comment expliquer alors que c’est avec l’instrument nommé également piano que l’on joue un genre musical souvent mené à un train d’enfer: le boogie woogie? A propos de train justement, savez-vous que l’origine du mot boogie woogie est une référence au bruit que font les roues du train? Bon! à la lecture du titre de cet article, vous ne vous attendiez certainement pas à vous voir infliger un cours de linguistique et vous aviez raison car mon propos était avant tout de commenter la démonstration de virtuosité faite par Nirek MOKAR au théâtre de Villeneuve sur Yonne le vendredi 9 décembre dans le cadre du concert qui l’associait à SAX GORDON mais je pense que ces considérations sont utiles à la connaissance du genre « Boogie Woogie. La lecture du paragraphe « bio » du site de Nirek nous apprend qu’il est autodidacte et n’a que dix ans de pratique du piano. Il est alors très étonnant de constater à quel point il en maîtrise la technique ayant atteint en si peu de temps un niveau comparable à celui de ses aînés tels Jean-Pierre BERTRAND et Jean-Paul AMOUROUX. A ce dernier, décédé récemment, Nirek n’a pas manqué de  rendre hommage en reprenant un titre de sa composition. Bien qu’il soit considéré comme le « nouveau prodige français du Boogie Woogie », Nirek MOKAR ne se limite pas à ce genre musical: il étend son répertoire au blues, au rock’n’roll et même au swing et c’est presque en s’excusant qu’il s’est approprié un standard du répertoire de Duke ELLINGTON, « stomping at the Savoy ». Il a aussi prouvé qu’il est un chanteur tout à fait honorable sur deux titres que je n’ai pas identifiés. Il fallait avoir une certaine connaissance de ces genres musicaux pour identifier les morceaux qu’il enchaînait sans les nommer prenant, de temps à autre une courte pause pour une rapide présentation de ses « Boogie Messengers ». Avant d’en présenter les membres, permettez moi une brève introduction. Les pianistes spécialisés dans le Boogie Woogie jouent souvent en solo: le fait que leur main gauche assure la rythmique leur permet de se passer d’un batteur et d’un contrebassiste. Ce n’est pas le cas de Nirek MOKAR puisqu’il était accompagné par Nicolas DUBOUCHET à la contrebasse, Simon BOYER à la batterie et Stan-Noubard PACHA à la guitare. A moitié dissimulé par le piano, Nicolas DUBOUCHET ne nous permettait d’apprécier sa dextérité que sur la partie haute du manche mais c’était suffisant pour constater à quel point il est talentueux tout spécialement lorsqu’il se livra à un solo très « slappé ». Simon BOYER, était lui relégué au fond de la scène mais il compensait ce relatif retrait par une présence sonore constante. Nous étions quelques uns dans la salle à connaître ses qualités de batteur qui lui permettent d’être aussi à l’aise dans le jazz que dans le blues. Nous connaissons également son surnom « shuffle », terme qui désigne un rythme convenant particulièrement bien au Boogie Woogie. Cette technique demande une grande régularité du tempo et une certaine sobriété dans les « breaks ». Maîtrisant parfaitement cette technique, Simon BOYER mérite bien son surnom. L’obligation de ne pas « en faire trop » peu être frustrante pour un batteur, j’écris en connaissance de cause, aussi lorsque vint le moment de l’incontournable solo de batterie, Simon s’en est-il donné à coeur joie. Bien que j’ai eu de nombreuses occasions d’apprécier son talent, il m’a encore étonné par son inventivité et sa vitesse d’exécution. Alors que sa démonstration semblait arriver à son terme, les projecteurs s’éteignirent et ses baguettes devinrent lumineuses, véritables baguettes magiques créant une féérie de lumières tels des feux follets. Un vrai régal pour l’ouïe et pour la vue. Que dire du troisième larron, le guitariste Stan-Noubard PACHA qui n’a pas déjà été dit? Le désigner comme un des meilleurs guitaristes de blues, sinon le meilleur aux dires de certains est, paradoxalement, réducteur car c’est le cantonner dans un genre d’où il est capable de sortir pour en aborder d’autres avec bonheur, comme le jazz par exemple. La preuve vous en sera donnée si vous vous procurez son unique album personnel « ready to go ».

Rassurez vous, je n’oublie pas de parler de l’autre « tête d’affiche » l’américain au sax appeal, Gordon BEADLE, plus connu sous son nom de scène de SAX GORDON.

Nirek MOKAR et SAX GORDON étaient comme les deux pôles de ce concert de par leur disposition sur scène d’abord( Nirek rivé à son piano à la droite de la scène et Gordon à l’opposé de l’avant-scène, du moins au début car il a assez rapidement agrandi son territoire) mais surtout par le rôle qui semblait être dévolu à chacun: Nirek assurait la continuité instrumentale en ne laissant jamais son clavier inactif et Gordon assumait sa réputation de showman  par une chorégraphie scénique constamment renouvelée et de facétieuses acrobaties avec son instrument. Il ne s’attribuait pas le rôle de star pour autant s’efforçant de communiquer son entrain à ses complices. Il donnait ainsi au terme anglais d’ »entertainer’ le sens français d’entraîneur. Stan-Noubard que j’avais  connu beaucoup moins extraverti dans d’autres concerts le suivait souvent dans ses figures gestuelles quant à Nirek il s’adonnait, surtout dans le second set, à quelques fantaisies inspirées peut-être d’un autre grand pianiste, le rocker Jerry Lee LEWIS, récemment disparu lui aussi. Nirek jouait parfois debout, martelait les touches de ses paumes, voire de son talon. Il n’a cependant pas suivi son présumé modèle jusqu’à mettre le feu à son piano. Il se contenta de mettre le feu à la salle. Oui, car il faut quand même dire un mot du public, fidèle au rendez-vous puisque parterre et balcon du théâtre de Villeneuve sur Yonne étaient complets, et enthousiaste d’un bout à l’autre du concert. Je n’en ai pas terminé avec SAX GORDON qu’il ne faut surtout pas réduire à son rôle de show man: c’est un  excellent chanteur comme il l’a prouvé  dans plusieurs titres dont un rock’n’roll au rappel qui s’est achevé par un « long Tall Sally » digne de Little Richard mais c’est surtout un saxophoniste de premier plan qui, s’il semble se produire souvent en France maintenant, a été très sollicité comme sideman par le « who’s who de la scène américaine ». Une liste non exhaustive d’artistes ayant fait appel à ses services figure dans la présentation de ce concert rédigée par l’association. Dans cette même présentation il est question d’un« concert fortement recommandé aux danseurs ». Certains couples ont suivi cet appel du pied dont Brigitte et Jacky, professeurs du cours de rock à 606 toujours prodigues de figures recherchées;

Je termine ce compte-rendu avec un manque total d’originalité puisque je reprends ce qui est devenu pour moi un leitmotive final: encore une excellent concert à mettre au crédit de l’association 606 REED and BLUES.

Et reportage photos par Lionel Bouscaillou.

« Barrel house » au théâtre de Villeneuve sur Yonne